samedi 18 juillet 2015

La complexité de la situation des chrétiens : ce que je comprends.

Je n'apprendrai rien à personne en écrivant que les relations inter-religieuses sont ici compliquées... Mais elles ne sont pas que cela : elles sont aussi complexes. Aussi aimerais-je, dans ce billet, témoigner de ce que j'ai pu en saisir ces derniers jours: Trop souvent, on assimile israélien et juif, arabe et musulman, et on oppose les deux camps. Or, c'est un raccourcit médiatique qui empêche de comprendre bien des situations, bien des événements.

La population de l’État d’Israël est composée à 75% de juifs, 30% n'étant pas nés sur le territoire israélien (c'est-à-dire qu'ils arrivent en Israël avec leur culture, leur langue et leur histoire propres), et leurs relations à la foi, au culte et à la pratique religieuse sont trop divers pour que je puisse en rendre compte. Un rabbin disait hier soir, « si vous avez deux juifs, vous avez dix opinions ». Ainsi, tous les juifs ne sont pas des militants sionistes ou nationalistes (tout l'éventail d'opinions est représenté dans la société), et on ne peut pas assimiler les orthodoxes (environ 9% de la population juive) aux nationalistes : ce sont deux enjeux différents et par certains aspects contradictoires, puisqu'une partie des nationalistes est toute à fait laïque, voire athée, et qu'une partie des orthodoxes refuse toute collaboration avec un État non-théocratique.
A côté des juifs, on trouve aussi, en Israël, près d'un quart d'Arabes israéliens, ce qui est loin d'être négligeable. Là aussi il y a une grande diversité religieuse, puisque si une large partie est musulmane, il y a une grosse minorité (environ 150 000 personnes) d'arabes chrétiens israéliens (de diverses confessions et dénominations), une autre druze, etc.

Voilà pour l’État d’Israël. A côté, la Palestine n'est pas non plus uniforme. Elle compte environ un tiers d'habitants de moins qu’Israël, mais l'absence de statistiques fiables récentes ne permet pas une étude très précise. On note, en gros : une grosse majorité musulmane (97% de la population, essentiellement sunnite), une petite minorité chrétienne concentrée dans quelques villes et villages, et une infime minorité samaritaine. A cela, on pourrait ajouter les colons juifs. Ainsi, si Bethléhem/Bethjala comptent peut-être un tiers de chrétiens, la bande de Gaza n'en aurait que 1200 sur 1,8 millions d'habitants.
Pour saisir la complexité, il faut aussi noter que les territoires dits palestiniens (c'est-à-dire qui ne sont pas explicitement partie de l’État d’Israël), sont pour une petite partie occupés par des colonies israéliennes, et pour le reste divisés en trois zones (A, B, C) dans lesquelles la souveraineté palestinienne est plus ou moins relative. La zone C, sous complet contrôle israélien, comprend ainsi 60% du territoire palestinien, la zone A, sous complet contrôle palestinien, comprenant 18% du territoire.

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Dans ce cadre, la situation des chrétiens est particulièrement complexe. D'une part, il y a les divisions historiques (cf. les articles précédents qui rendent compte de la situation contrastée dans les basiliques du saint Sépulcre et de la Nativité). Les chrétiens sont aussi administrativement divisés entre ceux qui sont Israéliens et ceux qui sont Palestiniens. Enfin, étant une petite minorité, ils sont aussi victimes d'excités et d'extrémistes de tous bords.

A titre d'exemple :
  • Peu avant l'entrée de la basilique de l'Annonciation à Nazareth, on peut voir ces affiches (cliquer sur les photos pour les agrandir et les lire). Elles sont là depuis plusieurs années, et bien de la majorité des musulmans ne se retrouve pas dans cette provocation, les pouvoirs publics ne sont pas assez forts pour pouvoir les faire retirer...


Et cela, alors que les chrétiens sont impliqués de manière édifiante dans la recherche du bien commun, tant en Israël qu'en Palestine. Je ne donne qu'un exemple : l'université de Bethléhem, seule opportunité d'études supérieures pour beaucoup de jeunes de Cisjordanie, est sous la tutelle des Frères des écoles chrétiennes, des religieux catholiques, et une large partie de son financement est directement assuré par des organismes chrétiens. Mais elle accueille 70% d'étudiants musulmans. Il ne s'agit ici évidement pas de prétendre que les chrétiens sont plus saints que les autres; il va de soi qu'ils sont tout autant pécheurs et qu'il est impossible de savoir ce qui habite le cœur de chacun. Il va aussi de soi que des individus et institutions tant israéliennes que palestiniennes œuvrent avec zèle et honnêteté à la paix, à la justice et à la fraternité. Tantur en est souvent le témoin et/ou l'hôte. Mais par cet article, je veux seulement témoigner du sentiment qui m'habite et de ce que j'ai vu et vécu ces dernières semaines.

Dans ce cadre, je ne peux que reprendre les mots de l'abbé de l'abbaye de la Dormition - maison-mère du monastère de la multiplication des pains -, en réponse à l'incendie de Tabgha: « Il y a quelques nuits, nous avons souffert une attaque sévère. Un feu qui mettait en danger des vies humaines. Tous les résidents de la région – chrétiens, druzes, musulmans et juifs devraient protester contre cet acte. Mais nous sommes chrétiens et nous devons réagir en tant que chrétiens. Nous sommes dans le lieu où le Christ accomplissait ses miracles, et nous accueillons ici des moines malades depuis des années. Nous remplacerons ce terrible feu de l’incendie par le feu de l’Amour et du Pardon de Dieu. »


Cédric de La Serre

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